La justice des Hommes doit nécessairement vivre avec son temps sauf à prendre le risque d’une perte de confiance de la part des justiciables qui ne s’y reconnaitraient plus.
A une époque où la vitesse de l’information, et de la désinformation, n’a jamais été aussi rapide grâce (ou à cause) notamment des réseaux sociaux et chaînes d’informations en continue, se creuse inexorablement un fossé grandissant entre l’attente d’une justice rapide et la peine de nos tribunaux à rendre des décisions dans des délais acceptables.
L’allongement de la durée moyenne des contentieux a de multiples causes, dont le niveau insuffisant des moyens accordés à la Justice bien sûr, mais également par des procédures abusivement engagées.
En début d’année, je louais dans un précédent blog la rapidité de la procédure d’injonction de payer devant les tribunaux de commerce, en citant notamment quelques chiffres issus des statistiques du tribunal de commerce de Paris.
En cette fin d’année, je me suis interrogé sur les recours abusifs, et comment ils ont pu être sanctionnés par le même tribunal au cours de l’année 2022.
Il ressort de cette analyse, non exhaustive, l’utilisation de deux règles bien établies dont les juges consulaires parisiens semblent faire un réel usage mais avec la modération qui s’impose face au droit indiscutable de chacun à ester en justice.
Ainsi, il n’est pas si rare que nos juges octroient au défendeur qui en aura fait une demande particulièrement motivée, des dommages et intérêts pour procédure abusive sur le fondement de l’article 1240 du code civil. Le défendeur devra alors prouver la faute consistant en l’abus commis par le demandeur pour l’avoir attrait devant le tribunal, le préjudice que cela lui a causé, qui doit aller au-delà de ce qui sera réparé par l’allocation de l’indemnité pour frais irrépétibles et enfin, le lien de causalité entre cette faute et ce préjudice à réparer, un cheminement juridique étroit mais pas impossible.
Par un jugement, dont la rédaction est par ailleurs assez savoureuse, du 27 septembre 2022 (2022001065), le tribunal de commerce de Paris a condamné un demandeur à plusieurs dizaines de milliers d’euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, en reconnaissant notamment un préjudice moral et d’image à la société commerciale défenderesse, après avoir notamment reconnu une intention de nuire des demandeurs et une absence de respect dû à la partie adverse mais également au Tribunal.
A l’occasion d’un autre contentieux, le même tribunal par une décision du 28 janvier 2022 (2021044254) avait déjà condamné un demandeur sur le même fondement en mettant en avant que les allégations de ce dernier ne reposaient sur aucun fondement, ni pièce et que certaines des pièces produites avaient été falsifiées visant à tromper le tribunal.
Au-delà de la réparation du préjudice subi par l’une des parties du fait de la procédure abusive initiée à son encontre, il ressort de certaines décisions que le même tribunal ne rechigne pas à prononcer une amende civile à l’encontre du demandeur trop zélé.
L’article 32-1 du code de procédure civile dispose que celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.
Sur le fondement de cet article, le tribunal de commerce de Paris a pu ainsi condamner certains demandeurs, après avoir relevé et mentionné les attitudes ayant conduit au prononcé de ces sanctions.
Par une décision du 25 mars 2022 (J2021000121), le tribunal condamnait le demandeur à une amende civile de 5.000 euros après avoir relevé : des demandes approximatives, des moyens juridiques imprécis ou inadaptés, le tout faisant dégénérer en abus le droit d’agir en justice. Au cas d’espèce, l’amende civile a été prononcée quand bien même le défendeur n’apportait pas la preuve suffisante du préjudice qu’il estimait avoir subi du fait de la procédure abusivement introduite.
L’attitude et les propos tenus peuvent également participer à la constatation par le tribunal de l’abus justifiant le prononcé de cette amende civile.
Tout cela pour en arriver à la conclusion qu’en toute chose la modération doit s’imposer, même si les tribunaux veillent au droit fondamental de chacun d’ester en justice pour faire reconnaître ses droits.
L’adage de la « modération en toute chose » a pu être parfois complété par « y compris dans la modération ».
Il serait en effet souhaitable que nos tribunaux soient plus enclins à prononcer une amende civile et/ou des dommages et intérêts pour procédure abusive afin de rappeler à chacun que l’exercice d’un droit doit également être fait avec modération, au risque de constituer un abus qui sera sanctionné.
« Moderatio in omnibus » une autre façon de participer au désengorgement nos tribunaux et de leur permettre de répondre plus rapidement aux demandes réellement légitimes.